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AU PARIS D’EXIL FOOTBALL CLUB, PASSION RIME AVEC INTÉGRATION

Alors que les autorités du football ne parviennent pas à bouter le racisme hors des stades, des passionnés ont fait le choix de rendre ce sport intégrateur. Ils sont mineurs, venus du Mali, du Sénégal, ou encore de la Guinée. Malgré leurs parcours de vie différents, ils forment un groupe uni, dans la victoire comme dans la défaite, et regardent désormais tous dans le même sens: celui du but adverse. Reportage au Paris d’Exil Football Club.

Le rendez-vous est fixé. 20h30, Stade Léo Lagrange, Porte de Charenton. Des vestiaires s’échappent déjà, avant même le match, des odeurs de chaussettes et de protège-tibias. A celles-ci se mêle un joyeux brouhaha entrecoupé de rires. Les jeunes joueurs du Paris d’Exil sont dissipés. L’un d’eux arrive en retard et se fait gentiment réprimander: « Tu sais lire l’heure pourtant ! », Guillaume Unglik, fondateur et coach de l’équipe attire l’attention: « Allez, on range les téléphones. » Place à la causerie: « On a un bon collectif, avec des bonnes individualités, donc on doit gagner ! Pour l’institution et par respect pour le Paris d’Exil FC. » Les jeunes joueurs du PEFC n’auront pas le temps de s’échauffer, le stade doit fermer ses portes à 22h, plan Vigipirate oblige, et même sous la pluie et le vent d’un soir d’octobre, il y a un match à jouer.

DÉBUT DU MATCH: UN ENGAGEMENT JOUÉ COLLECTIVEMENT

Ils sont une vingtaine et sont majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. Depuis que le Paris d’Exil Football Club a été crée, il y a trois ans, ils se retrouvent chaque semaine pour échanger quelques passes, mais surtout s’échapper du quotidien morose que peut être celui d’un migrant mineur isolé. « La cause des migrants, et en particulier des mineurs, m’a toujours touché, et je me suis demandé ce que je pourrais faire pour leur faire plaisir, leur permettre de se rencontrer, de vivre des choses ensemble, et de créer un vrai lien social entre eux et avec nous. Et la chose la plus universelle, ça reste le football, qu’on sache jouer ou non », raconte Guillaume Unglik. Chaque année, l’équipe opère un turn- over, avec des joueurs qui la quittent, d’autres qui la rejoignent, et qui sont immédiatement intégrés dans le groupe : « Il n’y a pas de nouveaux ou d’anciens ici, ce n’est pas dans notre vocabulaire », assure Bakary, capitaine malien de l’effectif. Dès lors, l’hétérogénéité des origines des joueurs oblige les entraineurs à revoir leur coaching: « On ne travaille pas tant l’aspect tactique, technique que l’alchimie du groupe, parce qu’ils ont des mentalités différentes, et parlent même des langues différentes, et on doit comprendre leur particularisme pour faire un bon groupe », explique Guillaume.

Même si le but premier de l’équipe reste de s’amuser, les deux entraîneurs mettent un point d’honneur à faire appliquer une certaine rigueur. Elle fait même partie de leur « premier travail » selon Baptiste Rinaldi, le second coach: « On fait un sport collectif, et la moindre des choses, c’est le respect. Et au départ, ils n’ont pas vraiment la même rigueur que nous. Souvent, l’heure du rendez-vous, c’est l’heure à laquelle ils partent de chez eux. Donc on leur dit une fois, deux fois, puis après il peut y avoir des sanctions le temps que ça rentre. Puis ça leur servira au quotidien. » Un loisir donc, mais avec des contraintes et un esprit de compétition, qui leur ont permis de former un groupe homogène la saison dernière et de remporter le championnat local et la coupe régionale de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), à laquelle ils sont rattachés. Il faut dire que sur le terrain, les joueurs du PEFC sont plutôt doués techniquement, proposent de beaux mouvements, ce qui ne les empêche pas de muscler leur défense avec quelques tacles rugueux. Ce soir-là, pas impressionnés par leurs adversaires du Spartak Retrograd, âgés de dix voire vingt ans de plus qu’eux, il faudra attendre que le ballon crève pour que le rythme du match retombe, le temps d’en trouver un autre.

Parmi eux, beaucoup rêvent de devenir footballeur, comme le buteur du soir, Salif - « Salifou » pour les intimes - qui a inscrit un coup franc direct, à la manière de son idole Cristiano Ronaldo, mais « sans faire exprès » avouera-t-il à demi-mots. Ils ont tous en tête l’exemple de Mohammed Kebe, gardien du PEFC il y a trois ans, qui a depuis intégré le centre de formation d’un club professionnel, le Red Star. « On envoie nos meilleurs joueurs dans des clubs affiliés à la Fédération Française de Football (FFF), pour leur permettre de s’intégrer avec des joueurs qui ne sont pas du même milieu, et pour qu’ils puissent potentiellement avoir la chance d’être repérés et d’être accompagnés au-delà du foot », confie Baptiste.

MI-TEMPS: L’UNION ET LE SOURIRE POUR FAIRE FACE AUX DÉCONVENUES

Alors qu’ils mènent 2-0, et après une mi- temps de deux minutes seulement, dans l’espoir de finir le match à temps, les joueurs du PEFC perdent pied. La consigne donnée par les coachs de respecter l’arbitre est moyennement respectée, après que l’un d’entre eux, Sako, a pris un « carton blanc », spécificité de la FSGT, qui l’oblige à quitter le terrain cinq minutes: « Je ne comprends pas ! C’est moi qui prend un coup sur la lèvre et c’est moi qui paye ! » proteste-t-il. Ses coéquipiers ne parviennent pas à retrouver le chemin des filets, et sont souvent repris pour leurs positions de hors-jeu, signalées par la veste qui fait office de drapeau pour l’arbitre de touche.

Sur le bord du terrain, Baptiste et Guillaume suivent le match, mais en profitent aussi pour questionner les remplaçants et prendre de leurs nouvelles: « Et toi, ça va le travail ? », « tu as trouvé à te loger ? ». Au delà de leur rôled’entraîneur, ils assurent un suivi des footballeurs en dehors des terrains: « On est leurs confidents, et quand il y a un problème, ils préfèrent nous appeler nous plutôt que leurs éducateurs », témoigne Baptiste. Au sein de l’effectif, les situations juridiques sont multiples. Bakary est arrivé du Mali en 2016 et est maintenant indépendant: « Avant, j’étais à l’école, mais maintenant je travaille, je suis serveur. C’est une fierté parce que je peux me débrouiller seul, j’ai un studio. Mais je vais quand même m’inscrire en formation d’éducateur sportif, parce que c’est vraiment ça que je veux faire ». D’autres sont en train de passer des tests médicaux pour prouver leur minorité, dans le but d’être reconnus comme mineur et d’être pris en charge par les services sociaux. C’est le cas de Makan, sénégalais de 16 ans, qui était hébergé par une association pour mineurs, mais qui dort depuis une semaine dans la rue. Il doit passer devant le juge dans quatre jours pour que sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance soit confirmée: « J’espère vraiment que ça aboutira, parce que sans papier, je n’arrive pas à trouver d’école, et je veux me former pour être cuisinier. C’est important pour que je puisse envoyer de l’argent à ma famille. » Ce soir-là, il repartira avec vingt euros donnés par Guillaume: « Pour manger d’accord ? Pas pour des cigarettes. Et fais-y bien attention dans la rue », lui conseille-t-il.

La proximité avec les entraîneurs conduit même ces derniers à héberger des jeunes, de manière exceptionnelle. Baptiste n’a pas hésité à le faire l’année dernière: « C’était l’hiver, on n’avait pas de solutions, et je ne me voyais pas le laisser à la rue. Donc il est resté 6 mois chez moi, et maintenant je m’en occupe comme si j’étais son père. A l’école, c’est moi qui vais aux réunions parents- profs . » Un engagement et une écoute qui débordent donc sur la vie privée, mais que Baptiste ne regrette pas: « Ça me prend du temps, ça me pompe énormément d’énergie, mais ça m’en apporte autant, dans le sens où je suis avec des jeunes que je ne rencontrerais jamais dans le cadre de mon travail de producteur de séries TV. Ils sont super attachants et j’apprends auprès d’eux, pas que de leurs galères, mais aussi de leur bonne humeur. »


Entre temps, le Spartak Retrograd est revenu au score, 2-2, et les joueurs exilés pêchent physiquement. Ils ne s’entraînent pas régulièrement, par manque de terrain: « Le problème c’est qu’à Paris, pour louer un terrain, il faut des financements et faire les démarches longtemps à l’avance. Avec Guillaume, on est que deux bénévoles, on ne peut pas faire tout ça », regrette Baptiste. L’écart finir même par se creuser, 2-3, avant que l’extinction des lumières ne fasse office de coup de sifflet final, après seulement 80 minutes de jeu. Loin du succès rencontré l’année dernière, le PEFC encaisse sa deuxième défaite d’affilée en autant de matchs. Cela ne suffira pas à entamer le moral de Bakary et de ses coéquipiers: « L’important, c’est de jouer au foot. Il n’y a rien qu’on aime faire autant ».

Hortense Leblanc

Article réalisé dans le cadre de mon cours de Reportage écrit à l'EDJ Sciences Po.

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